La Canaille |
Dans la vieille cité française Existe une race de fer ; Dont lâme comme une fournaise A de son feu bronzé la chair. Tous ses fils naissent sur la paille Pour palais ils nont quun taudis Cest la canaille ! Eh bien ! jen suis ! Ce nest pas le pilier du bagne ; Cest lhonnête homme dont la main Par la plume ou le marteau gagne En suant son morceau de pain. Cest le père enfin qui travaille Les jours et quelquefois les nuits Cest la canaille ! Eh bien ! jen suis ! Cest lartiste, cest le bohème Qui sans souper rime rêveur Un sonnet à celle quil aime Trompant lestomac par le cur. Cest à crédit quil fait ripaille Quil loge et quil a des habits Cest la canaille ! Eh bien ! jen suis ! Cest lhomme à la face terreuse Au corps maigre, à lil de hibou Au bras de fer à main nerveuse Qui sortant dont ne sait pas ou Toujours avec esprit vous raille Se riant de votre mépris Cest la canaille ! Eh bien ! jen suis ! Cest lenfant que la destinée, Force à jeter ses haillons Quand sonne sa vingtième année Pour entrer dans nos bataillons. Chair à canon de la bataille Toujours il succombe sans cris Cest la canaille ! Eh bien ! jen suis ! Ils fredonnaient la Marseillaise Nos pères les vieux vagabonds Attaquant en quatre-vingt-treize Les bastilles dont les canons Défendaient la vieille muraille Que de trembleurs ont dit depuis : " Cest la canaille ! " Eh bien ! jen suis ! Les uns travaillent par la plume Le front dégarni de cheveux Les autres martèlent lenclume Et se soûlent pour être heureux. Car la misère en sa tenaille Fait saigner leurs flancs amaigris Cest la canaille ! Eh bien ! jen suis ! Enfin, cest une armée immense Vêtue en haillons, en sabots Mais quaujourdhui la vieille France, Les appelle sous ses drapeaux. On les verra dans la mitraille Ils feront dire aux ennemis : " Cest la canaille ! " Eh bien ! jen suis ! |