La Grève
Paroles : Eugène Pottier
Au citoyen Basly, ouvrier mineur, député de la Seine

Au secours ! vaincre est nécessaire.
Les mineurs sonnent le tocsin,
Saignons à blanc notre misère,
On fait grève au bassin d'Anzin.

Faire triompher cette grève,
Compagnons, c'est le grand devoir !
Partout où l'exploité se lève,
A ses côtés il doit nous voir.
Aux combattants il faut des vivres
Nous, leurs copains, nous, ventres creux,
Sur chaque pain de quatre livres
Tirons une miche pour eux !

Ces hommes arrachant la houille,
Forçats dont le bagne fait peur,
Sans eux, croyez-vous qu'elle bouille,
La grande industrie à vapeur ?
S'ils croisent, noirs sur leur poitrine,
Leurs bras musculeux et poilus,
Nous croyons stopper la machine,
Le coeur du travail ne bat plus !

Les familles sont dans les larmes,
Duel social bien avivé ;
Ce tocsin de feu crie : Aux armes !
Tout le bassin est soulevé.
Sous les attaques féodales,
Le serf aura-t-il le dessous ?
Compagnons, nous fondons des balles
Quand nous leur portons nos gros sous !

Des balles pour la haute pègre
Qui, n'ayant nul droit au sous-sol,
Ose traiter en race nègre
Ceux-là qu'à dépouillés son vol
Plomb pour la race massacrante
Qui, sans vergogne du total,
Tous les ans touche comme rente,
Quinze ou vingt fois son capital.

Oh ! ces mangeurs de chair humaine,
Leur avarice est un défi.
Mais la Terre est donc leur domaine ?
Ils n'ont qu'un Dieu, le dieu Profit.
L'homme fond dans leur main rapace.
Tous les épuisés, les vieillards,
Chassés, réduits à la besace,
Ils leur ont sué des milliards !

Grands seigneurs de la banqueroute,
Porteurs d'actions, hobereaux,
Voleurs ! vous vous croyez sans doute
Le droit de devenir bourreaux ?
Malheur ! voir au siècle où nous sommes,
Le capitaliste aigrefin.
Dresser ainsi pour dix mille hommes
La guillotine de la faim !

Tant d'horreurs ne seront pas vaines ;
La souffrance enfante toujours !
Nous sentons courir dans nos veines
Le frisson brûlant des grands jours ;
Aux faubourgs, la pâle famine
Soulève un vivant ouragan ;
Et du ventre noir de la mine
Il sort des laves de volcan !

Au secours ! vaincre est nécessaire
Les mineurs sonnent le tocsin,
Saignons à blanc notre misère,
On fait grève au bassin d'Anzin !
Mars 1884.